Texte publié dans le catalogue/recueil issu de l'événement Voir & Percevoir II de la 4e édition de L'inspiration du moment, à la galerie d'art L'espace contemporain de Québec, 2014
Tes petits doigts dans l’eau glacée du ruisseau. Tu tentais d’attraper
les poissons à mains nues, ton épuisette abandonnée sur le rivage tapissé de
cailloux. Le soleil se frayait un chemin à travers le feuillage des bouleaux. En
pieds de vent, il chatouillait le galbe de ta joue et déposait des paillettes
dorées dans tes cheveux si doux.
Te souviens-tu de ces jeux qui renversaient le cours du
temps?
Les jours d’été qui s’étiraient jusqu’à tard dans la nuit. Le
lac où l’on pataugeait à grands cris. La montagne qui nous renvoyait l’écho de
nos rires en cascades. Les framboises sauvages avalées goulûment. Les
couleuvres que tu cachais sous ton gaminet. Les grenouilles, aussi. Dans un
seau sous ton lit.
Tu aimais la saison froide tout autant. Les glissades sur la
butte derrière la maison. Les randonnées en ski les samedis dans la forêt. Notre
forêt. Le foyer qui crépitait et séchait nos mitaines gorgées de neige. Les
biscuits trempés dans le chocolat chaud épicé à la cannelle.
Puis, tu t’es dépouillé de tes habits d’enfant. Et plus les
années s’écoulaient, plus tu lui ressemblais. Toujours plus de lui en toi. Ses
gênes ont éclipsé les miens.
Ce qui est une excellente chose.
Car me voilà sanglée dans ces draps tachés de souffrance. Mon
ADN est déficient, et tout mon corps est en rébellion. Chaque cellule qui le
compose mène un combat perdu d’avance. La mort me guette et m’attend.
Je sens tes doigts d’homme qui massent délicatement la peau
translucide de mes mains. Si au moins une parcelle de vie subsistait encore en
moi pour que je te rende la caresse. Et ces mots qui m’habitent; ils n’ont plus
la force de franchir le portail de mes lèvres. Pourtant, j’aimerais tant te
dire au revoir. Te conjuguer l’amour au présent, une toute dernière fois.
Ne t’en fais pas, mon grand. Je n’ai plus peur. La douleur
m’a quittée comme l’amant se sauve au petit matin. Le brouillard opaque qui m’encerclait
se dissipe. Je revois notre forêt. Le sentier. Les herbes folles caressent mes
chevilles nues. Je les sens! Et cette odeur de terre mouillée, et d’aiguilles
de sapin baumier! Au loin, une lueur orangée. Pas celle qui émane des villes
les soirs de nuages, non. Une lumière chaude, enveloppante. Un feu de braises
qui frissonne. J’ai envie de m’y consumer.
C’est cela, mourir?
Comme c’est paisible.